Afrique et Conflits Mondiaux
La guerre en cours entre l'Ukraine et la Russie a soulevé des questions troublantes sur la relation que nous, êtres humains, entretenons avec le conflit. Certaines personnes se demandent si, en tant qu'êtres humains, nous ne pourrons jamais être sans conflits parce que l'histoire nous raconte la série de guerres et de conflits que nous avons eus ? D'autres se demandent si les conflits en Afrique sont différents des conflits des « autres » parce qu'ils ne sont pas souvent reconnus au jour le jour et que la vie semble se dérouler sans aucune perturbation au niveau mondial. Pourtant, d'autres s'interrogent sur la nécessité de recourir au conflit en ce 21e siècle, où les êtres humains semblent avoir appris des conflits passés causés par la rareté des ressources. Contrairement à l’idée de George Berkeley, « être, c'est être perçu », il semble qu'être, c'est être en conflit car les conflits existent par rapport à nous puisque nous faisons peut-être partie du même substrat. Si nous ne sommes pas liés avec les conflits, pourquoi engageons-nous dans tant de guerres et de conflits ? Cette relation entre l'humanité et les conflits a peut-être donné naissance à l'aphorisme populaire selon lequel nous ne connaissons les autres que lorsque nous sommes en conflit avec eux. Alors, pourquoi acceptons-nous continuellement des situations dans lesquelles nous sommes en conflit les uns avec les autres ?
Sans doute, il n'y aurait pas de conflit s'il n'y avait pas d'existence d’homme. Considérons une fois par exemple le fait que nous n'avons jamais existé, y aurait-il des conflits ? Une réponse évidente est que les conflits existent parce que nous existons, étant donné que les sociétés humaines ont combattu pour avoir les ressources ou le pouvoir de leurs voisins depuis le début des temps. Karl Marx et Engels affirment la perpétuité du conflit dans Le manifeste communiste lorsqu'ils soutiennent que l'histoire de toutes les sociétés existantes est l'histoire de la lutte des classes ; à mesure qu'une classe dominait une autre, elle luttait pour avoir le pouvoir sur une autre. La lutte pour les ressources limitées des petites sociétés s'est aggravée à mesure que les populations croissent et que les ressources restent limitées : les luttes pour les pâturages ou l'accès à l'eau marquent certaines sociétés du sud du Sahara et de la corne de l'Afrique. L'expansion impérialiste a marqué des parties du monde depuis mille ans : la Chine et la Perse pour n’en citer que deux au hasard. La majeure partie de l'Europe et une partie de l'Afrique du Nord ont été colonisées par Rome pendant trois ou quatre cents ans. L'Amérique centrale et l'Amérique du Sud avaient leurs propres empires, Aztèque et Inca avec une gouvernance centralisée contrôlant d'immenses territoires. L'impérialisme moderne a débuté par la lutte des nations européennes pour les métaux et pierres précieuses et les épices rares. Cet impérialisme a déclenché la première grande vague de colonisation au XVIe siècle et a soumis l'Amérique du Sud et l'Inde à une brutalité extraordinaire. La brutalité engendrée par la colonisation s'est étendue à l'Afrique au cours des 18e et 19e siècles, avec de nouveaux principaux acteurs à savoir la Grande-Bretagne et la France plutôt que l'Espagne et le Portugal qui dominaient dans la phase précédente.
En Afrique, nous avons été pris dans des conflits depuis les premières résistances à la colonisation, en passant par la lutte pour l'indépendance jusqu'aux coups d'État militaires et la lutte pour la sécession et la liberté ; l'indépendance n'a pas non plus apporté la paix. Les nouveaux États-nations qui ont remplacé les colonies ont été défigurés par des coups d'État militaires, le mépris des constitutions et moins souvent par de violents mouvements sécessionnistes. La violence qui accompagne ces différents épisodes de la vie du continent a été en partie responsable des réfugiés africains, dont beaucoup se trouvent à l'intérieur du continent.
Il s'ensuit que notre existence serait bien fade s'il n'y avait pas de conflit. Nous avons besoin de cette expérience pour stimuler nos esprits philosophiques. Mais sommes-nous en train d’affirmer indirectement que les conflits procurent un certain bien ? Peut-être pas vraiment, car si tel devait être le but de la nature de la recherche de la connaissance, il n'y aurait pas de philosophes car les conflits auraient anéanti leur existence. Alors, ces questions fondamentales demeurent : pourquoi sommes-nous en conflit ? Est-il vrai qu'être, c'est être en conflit ? Que sont vraiment les conflits ? Ont-ils une existence séparée ou existent-ils en raison de notre existence ? Sont-ils bon en soi ? Sont-ils à craindre ? Sommes-nous capables d'exister sans conflits ? En tant que philosophes africains, pouvons-nous enquêter sur la nature sous-jacente des conflits sur le continent ? Sont-ils réels ou sont-ils des illusions ? Quelles nouvelles connaissances pouvons-nous apporter à propos des conflits Africains ? Avec un continent aussi divers et riche culturellement, faut-il prôner l'absolutisme culturel pour juguler les conflits ? Quel est le rôle du philosophe africain en temps de conflit ? L'Afrique peut-elle compter sur les philosophes en temps de conflit ? Les philosophes africains se contentent-ils uniquement des vieux discours sur les conflits des pays du Nord qui omettent souvent de prendre en compte la diversité culturelle en Afrique ?
L'Afrique est un continent en mouvement, avec des conflits persistants qui ont donné lieu à des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays et à des crises de réfugiés de plus en plus rapides ayant eues des conséquences dévastatrices. Pas moins de douze millions de personnes ont été déplacées à l'intérieur du continent en raison de déclencheurs tels que les troubles civils, les démocraties oppressives et les conflits à travers le continent, dont un nombre important en provenance du Nigéria, de la République Démocratique du Congo et du Soudan. La carte des réfugiés est également en mouvement, avec une démographie de plus de dix-huit millions de réfugiés dans le monde, ce qui déclenche de nouveaux conflits et instabilités politiques. En raison des conflits persistants sur le continent, le nombre de réfugiés ne cesse d'augmenter, certains réfugiés étant soumis à des traitements inhumains, à des traumatismes, au racisme et à une mort prématurée. En tant que continent en mouvement, quelles mesures pourraient nous aider à nous développer indépendamment des conflits ? Quelles mesures pourraient être mises en place pour assurer la sûreté et la sécurité des personnes déplacées et des réfugiés ? Quels pouvoirs de négociation avons-nous en tant que continent avec tant de ressources minérales pour apaiser les conflits ? Si nos dirigeants n'étaient pas égoïstes, pourraient-ils mettre fin aux conflits ?
Sans doute, nous semblons avoir recours au conflit en raison de nos échecs collectifs à tenir compte des commandements de paix de Dieu. John Mbiti articule cette conception africaine d'une relation de cause à effet dans son Introduction à la religion africaine lorsqu'il soutient que tout ce qui arrive à un Africain est perçu comme une dérogation aux instructions du divin. On pourrait dire que la conséquence de ne pas tenir compte des commandements de paix de Dieu est les conflits sans fin observés en Afrique et dans le monde en général. Car Dieu a ordonné que nous soyons en paix, mais nous n'avons pas tenu compte de ce commandement. Ainsi, les conflits existent à cause de notre échec collectif à tenir compte du commandement de paix de Dieu. Nos conflits sont-ils le résultat de notre incapacité à tenir compte du commandement de Dieu ? Est-ce que tout ce que Dieu ordonne serait respecté ? Comment les théologiens africains appliqueraient-ils la théorie du commandement divin en temps de conflit ? Dans un continent aux conflits persistants comme l'Afrique, existe-t-il une littérature sur une théologie du conflit ? Quel espoir garder des théologiens africains en temps de conflit ?
Il existe de nombreuses façons de développer notre thème et sa pertinence ne peut être surestimée, étant donné le conflit actuel en Ukraine, qui a commencé le 24 février 2022 lorsque la Russie a lancé ce qu'elle a appelé son "opération militaire spéciale" en Ukraine. Cette « opération militaire spéciale » a eu des conséquences retentissantes à travers le monde, notamment d'innombrables morts et des crises de réfugiés de plus en plus rapides. Notre thème invite à réfléchir sur la question de savoir s'il existe une relation inévitable entre les conflits africains et les conflits mondiaux : pourquoi un conflit en Ukraine affecterait-il l'économie de l'Afrique et en particulier les prix des biens et services essentiels ? Et pourquoi les conflits locaux en Afrique n'affectent-ils jamais les économies mondiales ? Qu’est-ce qui échappe à l’Afrique ?
Au vu des paragraphes précédents, le comité de rédaction de Chiedza, revue de Arrupe Jesuit University, pour la parution de mai 2022, lance le présent appel à contributions d’articles portant sur ces questions ou sur des questions en lien avec le thème: "l'Afrique et les conflits mondiaux" sous différents angles. Les articles prospectifs, qui peuvent être philosophiques, théologiques, littéraires, psychologiques ou historiques, doivent compter 4 000 mots au maximum. Nous accueillons également des articles et des critiques de livres sur des thèmes connexes ou des poèmes qui ne reflètent pas nécessairement notre thème. Tous les articles doivent être envoyés à : chiedza@arrupe.ac.zw au plus tard le 5 juin 2022.
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Chiedza est une revue de Arrupe Jesuit University, Université jésuite de philosophie et de sciences humaines présente à Harare, Zimbabwe. Il paraît deux fois par an, en mai et en décembre. Le but de Chiedza est de publier des articles sur des questions relatives à la philosophie, à la théologie et aux sciences humaines. Le comité de rédaction est une équipe d'étudiants, de professeurs et d'éminents experts en philosophie, littérature, intelligence artificielle, théologie et disciplines pertinentes à travers le monde.
Ikpodon Michael, S.J.,
Au nom du comité de rédaction
Original : English
Translation : Kouakou N.K. Jean Serge, S.J.